Le printemps, c’est une saison de renouveau. Pour moi, c’est toujours un moment de réflexion. Avec l’abondance de travail et d’énergie déployée pendant ces quelques semaines, ça nous pousse à revoir nos priorités, nos manières de faire et ça nous permet aussi de reconnaitre à quel point nous sommes chanceux de pouvoir vivre d’un métier aussi formidable. Cette année, c’est spécial. Au mois de mai, nous accueillerons une petite fille au sein de notre famille. Ça nous a poussés à réfléchir d’avantages en amont, mais le printemps étant ce qu’il est… BAM! C’est le retour des remises en questions! Le 8 mars dernier, c’était la journée internationale du droit de la femme. J’ai toujours été très reconnaissante de faire partie d’une société dans laquelle on reconnait ma place. Ce printemps, par contre, ma bedaine est pleine de préoccupations pour la future femme que je mettrai au monde. Quand j’accueille des gens à la ferme, tout le monde est vraiment content d’avoir des nouvelles de la famille et de ma grossesse. À mes deux premières, la plupart des commentaires tournaient alentours de la chance qu’on avait d’avoir de la relève. « C’est vrai, on est vraiment choyé », que je leur répondais. Je m’attendais à leur répondre la même chose à ma troisième grossesse aussi, mais non. En entendant que le prochain membre de la famille serait une fille, on me répondait plutôt, avec beaucoup d’enthousiasme et de joie : « C’est super! Ça va te faire de l’aide pour transformer les produits d’érable! ». Bien que je sois très heureuse d’attendre une fille, et que je sois consciente que les gens ne disent pas ça pour mal faire, force est de constater que les rôles entre les hommes et les femmes en agriculture sont encore très stéréotypés.
Tout ça, ça pose plusieurs réflexions importantes sur le rôle des femmes dans une entreprise agricole.
1. Socialement, les gens s’attendent beaucoup plus à ce que ce soit un garçon qui prennent la relève d’une entreprise agricole. Et pourquoi? Je connais des femmes agricultrices qui font un travail admirable dans leur entreprise, peu importe leur secteur d’activité. Quand une femme devient agricultrice, ça pose un défi supplémentaire d’avoir à justifier qu’elles sont capables d’exécuter les mêmes tâches qu’un homme. Je ne le voyais pas vraiment jusqu’à ce printemps, quand j’ai eu à justifier que ma fille pourrait aussi faire le même métier que son père si elle le voulait, tout comme ses frères pourraient faire le mien. Ma fille n’est même pas née, qu’elle est socialement déjà orientée vers ce qu’elle ne peut « pas » faire ou vers ce qu’elle devrait « naturellement » faire.
2. Qui suis-je, moi, socialement, si je ne suis pas la relève de ma belle-mère, Guylaine, qui s’est levée chaque matin pour mener à bien des tâches pour l’entreprise agricole familiale en transformant le fruit de leur récolte et en permettant de faciliter le travail quotidien de mon beau-père sur la terre, que ce soit en faisant la gestion de l’entreprise, en préparant les repas, en entretenant la maisonnée et en partageant son amour de la terre à ses enfants? Comment appelle-t-on toutes ces femmes, mères, filles qui participent de près ou de loin aux activités de la terre. De l’administration à la production jusqu’à la mise en marché, quand tu t’impliques dans une entreprise agricole en vue d’en prendre les rennes, tu es de la relève agricole.
Je suis donc la relève agricole de ma belle-mère et je crois qu’il est temps, en 2022, de reconnaitre que le rôle de tous et chacun est important dans une entreprise agricole, peu importe le rôle et notre genre.
En agriculture, il y a un dicton qui dit : « Quand femme va, ferme va ». On disait ça aux hommes pour leur faire comprendre qu’ils devaient prendre soin de leur femme. Mais je crois que ce que ça voulait profondément dire, c’est qu’il fallait prendre en considération le rôle des femmes sur la ferme. Les temps changent, mais pas le fond. Aujourd’hui, on pourrait peut-être comprendre de l’adage que c’est important de SE prendre en considération et de reconnaitre que, peu importe le rôle que nous jouons dans une entreprise familiale, nous travaillons tous pour notre relève. Nous voulons tous qu’elle soit outillée adéquatement et qu’elle partage une vision et des valeurs qui nous ressemblent. C’est l’essentiel. Peu importe fille ou garçon, reconnaissons que nous sommes des êtres qui peuvent accomplir de belles choses.